Marcel Péju, Ludmiła Murawska- Péju et Jozef Czapski

photo en noir et blanc. Marcel Peju

« Votre mari est un monument » – c’est ainsi que l’ambassadeur d’Algérie m’a accueilli lors d’une fête à Paris. Marcel s’est fortement impliqué dans les efforts pour l’indépendance de l’Algérie. Son père était actif membre de La Résistance. Sa mère, sculpteuse, fabriquait de faux documents pendant l’occupation nazie. Marcel a sauvé des enfants juifs – il les a fait sortir de Lyon pour les cacher dans le Massif Central.

En 1957, il est arrivé en Pologne pour la première fois. Il était censé préparer un numéro spécial des « Temps modernes », un mensuel de Sartre, dédié à l’Octobre polonais de 1956, la « révolution polonaise ». Marcel écrit avec enthousiasme sur « un mouvement révolutionnaire qui remet en question les mythes et les dogmes ». Le numéro comprend des textes de Jerzy Andrzejewski, Adam Ważyk, Kazimierz Brandys, Wiktor Woroszylski et Adolf Rudnicki.

Depuis lors, Marcel travaille en étroite collaboration avec Konstanty Jeleński. Les livres de Rudnicki, Mrożek, Brandys et Andrzejewski sont publiés en France. L’Occident découvre la littérature polonaise. Après une vaste campagne de presse, Leszek Kołakowski publie dans diverses maisons d’édition.

Jeleński était une vraie institution. Tous les hommes du monde de la culture polonaise s’adressaient à lui avec leurs problèmes. Et lui, il avait trois personnes pour les résoudre. Le domaine de Marcel était la presse et les universités d’Europe et des États-Unis. Il organisait des stages, des bourses, parfois un emploi permanent. Il a contribué à l’obtention d’une chaire à Oxford pour Leszek Kołakowski.

Je me souviens une soirée qui consacrée à Jeleński après sa mort et tenue aux Pallottins, à Paris. On arrive avec Marcel à l’heure, mais nous trouvons la porte fermée. Marcel frappe obstinément. Une jeune femme ouvre alors et dit qu’elle ne peut pas nous laisser entrer, car c’est une fête réservée aux amis de Jeleński. Marcel a déjà bloqué la porte avec son pied, attrape ma main et la tient fermement. Il pousse la porte, se faufile dans la masse humaine et traverse toute la pièce. Au milieu de la première rangée – deux chaises libres. Marcel s’assoit sans hésitation et me fait asseoir à côté de lui sans lâcher ma main. J’ai honte. Je suis surpris et indigné par le comportement de Marcel, car ces deux places étaient certainement prévues pour l’ambassadeur Meller, qui était souvent en retard pour divers événements. Comment Marcel osait-il les prendre ? Et Marcel explique brièvement : « Les trois quarts des personnes dans cette salle sont en France grâce à moi. »

Au cours de cette soirée, tout ce que Marcel a fait pendant trente ans a été attribué uniquement à Jeleński. Le nom de Marcel n’était même pas mentionné. J’ai vu qu’il était fâché et chagriné.

Des Polonais se tournaient constamment vers lui pour obtenir de l’aide. J’ai été témoin de nombreuses situations comme celle-ci : dans la foule à la fête quelqu’un approche Marcel. Il demande de l’aide pour trouver un emploi de l’aide-ménagère pour une femme de sa famille, mais Marcel écarte les mains : « Je ne peux plus rien faire. C’est un circuit fermé. C’est comme ça avec les Polonais : ils travaillent long ou court. Ils restent en France, changent d’emploi ou rentrent en Pologne, mais avant de partir, ils réservent leur emploi pour quelqu’un de leur famille ou des amis et ainsi la place n’est jamais vide. »

Je souvent découvrais ses activités par accident. Au téléphone, la voix très nerveux du Maurice Nadeau, critique, éditeur de Gombrowicz.
Il appelle : « Où sont ces gens ?! »

Marcel n’est pas encore rentrée et moi, je ne sais pas de quoi s’agit-il.
Nadeau poursuit : « Lorsque Marcel apparait, qu’il m’appelle tout de suite parce qu’il y a de la police chez moi !»

Marcel entre après quelques minutes et passe un coup de fil tout de suite. Je m’éloigne discrètement dans l’autre bout de l’appartement. Ensuite, je demande à quoi tout ceci rime.

Marcel explique : « Quand ça dégénère, ce sont toujours les Juifs à qui on s’en prend tout d’abord. Il faut donc protéger les Juifs. Pour le moment, la seule chance d’obtenir un passeport est un contrat de travail en Occident. J’ai donc inventé et fait beaucoup de faux contrats avec Maurice Nadeau, que nous avons transmis à des gens de diverses maisons d’édition en Pologne. Certains destinataires n’ont pas reçu de passeport, mais de nombreuses personnes sont venues en France. Après, c’était toute une chaîne de personnes de bonne volonté. Quelqu’un a offert un logement, un autre de la nourriture, du travail, etc. La police a finalement découvert cette astuce parce que beaucoup de gens ont traversé la frontière, tandis qu’une petite maison d’édition exclusive ne pouvait pas vraiment les employer tous. »
La période de la loi martiale. Pologne est sous embargo – les aliments, cigarettes, vodka sont rationnés. Marcel est furieux. Il estime que l’embargo contre la Pologne n’a aucun sens, et le fait comprendre à un groupe de personnes notoirement connues en France. Des politiciens importants et des gens du monde de la culture et de l’art.

J’ai participé à une réunion qui s’est terminée en fiasco. C’était avec Jan Nowak-Jeziorański. On a dîné dans un restaurant près de l’hôtel où il a séjourné. Il a refusé son soutien.

On n’a pas réussi à le convaincre. Il y avait une grande pluie pendant notre conversation. Lorsque nous l’avons accompagné jusqu’à l’hôtel, nous avons dû sauter à travers d’immenses flaques d’eau. Entre les flaques d’eau, je suis intervenu disant que cela serait justifié de mettre en place un embargo sur l’Union soviétique, et non sur la Pologne. Cela ne nuit pas au gouvernement polonais, mais au peuple. Jeziorański n’a pas cédé. Il était convaincu que on ne pouvait pas reculer même d’un centimètre et assouplir les restrictions.
Enfin, le président de la France a accueilli le général Jaruzelski. Marcel y avait contribué. Il y avait les risques des manifestations à Paris. Pour éviter cela, Marcel a conseillé la discrétion, et son conseil a été pris en considération. L’Elysée a fait le général entrer par la porte arrière. L’embargo a été levé.

Extrait du livre de Ludmiła Murawska – Péju « Wolność w łupinie orzecha », Editions Czarna Owca, Pologne 2020.

Jozef Czapski, Portrait par Ludmila Murawska- Péju, Collection privée
Fondation SUSEIA s’engage à respecter votre vie privée et nous comprenons qu’il est important de protéger les données personnelles des personnes et d’appliquer des normes éthiques et légales strictes dans le traitement de ces données.
Skip to content