Murielle Gagnebin. Czapski: Peintre du quotidien, 2019

photo couleur
Sur la photo : Elżbieta Skoczek, directrice du Festival Józef Czapski avec M. le Consul Général à Cracovie, Frédéric de Touchet et Murielle Gagnebin. Cracovie, 2019. Fot. Ewa Lipiec. Dans l’œuvre de Czapski (1896-1993), Murielle Gagnebin s’intéresse à ce qu’elle appelle « le théâtre du quotidien urbain» : petits cafés, métros, trains de banlieues, salles de spectacle, salle d’attente , bref tous endroits où l’homme croit perdre son temps et dépose son masque social. Czapski aime donc le spectacle vivant, celui de la rue, de l’entre-deux rendez-vous, celui du retour chez soi de l’homme fatigué, usé , celui des cafés , mais il a aussi un vif attrait pour le théâtre avec de vrais comédiens (n’a-t-il pas croqué quasiment tous les acteurs du Paris des années 60 à 80 , tels Madeleine Renaud, Michael Lonsdale, Clov, Marc Eyraud, Roger Blin, etc). Parmi les acteurs de la vie intellectuelle de son temps, il dessine toujours à Paris : André Malraux, Gabriel Marcel jouant du piano, François Mauriac, André Maurois, Daniel Halévy, Aldous Huxley, l’écrivain russe des Yeux tondus Alexei Remizov, le dramaturge polonais Slawomir Mrozek, l’écrivain polonais Alexandre Wat et bien d’autres encore. Une exposition de ses dessins retraceraient la vie artistique et littéraire du Paris des années 1960 à 1980. Ce livre expose plusieurs de ces dessins parmi lesquels Murielle Gagnebin distingue quatre types de traits spécifiques à Czapski qui conduisent toujours vers l’intime. Le style de ce peintre qui a vécu de 1945 à 1993 à Maisns-Laffitte, (banlieue de Paris), l’auteur le voit dans sa façon de découper l’espace. Czapski procède à des mises en pages inattendues avec des cadrages bien particuliers : tantôt le motif se heurte aux bords du tableau, tantôt il est comme contrarié par des obstacles internes à celui-ci. Bref, le peintre semble attiré par la périphérie et par des fragmentations hachant les personnages. Elle étudie ce que peut suggérer sur le plan émotionnel de telles élisions, des mutilations orchestrées par un chromatisme souvent intense, effectuées sur des personnages prostrés ou abymés en quelques méditations, cernés d’un filament noir et donc contribuant à l’architectonique de la toile. Divers points de vue vont alors être suggérés et fortement étudiés : aux côtés des questions d’esthétique picturales et cinématographiques, certaines perspectives philosophiques comme divers angles de vue psychanalytiques sont proposés. Cependant avec ces exégèses, subtiles et jamais plaquées sur les tableaux, exégèses qui donc partent toujours des éléments plastiques propres à l’œuvre elle-même, Murielle Gagnebin, par un art qui est le sien, ne maltraite pas le chef d’œuvre fait de peinture à l’huile et de térébenthine, mais fouille, à travers sa méditation sur la peinture de Czapski, les questions philosophiques de la descente en soi (la fameuse katabasis platonicienne), le souci de l’abstraction (E. Panofsky, E. Gombrich), le piège de l’irreprésentable ( M. Blanchot, J. Lacan, P. Fédida, M. Gagnebin,) le sens d’une peinture dite « métaphysique » (H. Maldiney). De même les problématiques psychanalytiques les plus contemporaines du « double », (O. Rank), du jumeau imaginaire (D. Anzieu), du jumeau identique (W.R. Bion), du jumeau paraphrénique (M. de M.’Uzan), du travail du négatif (A. Green), de l’inquiétude permanente (M. de M’Uzan ) , de l’Ego alter (M. Gagnebin) sont travaillées grâce à la peinture de Czapski . Ce livre, multipliant les approches des sciences humaines et plastiques, a donc tout de l’essai. Cette réédition est fortement remaniée et dotée d’une introduction, d’une postface et d’un épilogue expliquant la nécessité de faire encore mieux connaître ce peintre polonais, expressionniste latin puis phare des Nouveaux Fauves. Interné dans deux camps soviétiques de septembre1939 à août 1941, et initiateur de la découverte du massacre de Katyn, Czapski est très connu en Pologne, aux USA et en Europe pour son courage politique. Il était donc urgent de permettre au public de langue française de voir et d’aimer sa peinture, seule vraie vocation de l’artiste. C’est pourquoi les Éditions Hermann ont rajouté à la première édition (1974) totalement épuisée, 40 dessins, une iconographie en couleur remarquable : 70 planches viennent non servir d’exemples aux propos de Murielle Gagnebin mais offrent, au bonheur de l’œil, un chantier chromatique et plastique fabuleux d’où émerge de la pensée. La lecture de l’art est entendue ici comme une éthique du regard contemplateur toujours en mouvement. Murielle Gagnebin Professeur émérite et Directeur de recherches à la Sorbonne Nouvelle (Paris III) en psychanalyse de l’art Professeur honoraire en psychologie clinique de l’Université d’État de Moscou (Lomonossov) Psychanalyste, membre titulaire de la Société psychanalytique de Paris (SPP et IPA) Psychanalyste à l’Association de santé mentale du 13ème ardt (ASM13) Membre de l’Association internationale des critiques d’art (AICA) Auteur de quinze livres de psychanalyse de l’art Joseph Czapski, le prisonnier des camps de Starobielsk et Griazowietz (1939-1941), l’homme politique qui en 1942 recherche pour le général Anders les 15 700 officiers polonais manquants. Czapski, le découvreur du massacre de Katyn. Enfin Czapski, le peintre : sa seule et véritable passion ! Rare survivant de cette terrible époque, Czapski, son œuvre picturale totalement détruite, s’établit en 1946, à 50 ans, à Paris. Il se fait alors en peinture le chantre de ce que Murielle Gagnebin appelle « le théâtre du quotidien » et, dans ses dessins, il « croque » les principaux comédiens et les intellectuels de la scène parisienne entre 1955 et 1980. Ce livre aborde uniquement l’œuvre de l’artiste, un des rares peintres du XXe siècle qui parle de l’être humain avec ses angoisses et ses lueurs d’espoir, ses cris et ses rires ! Depuis le premier livre que Murielle Gagnebin avait consacré en 1974 à cet artiste polonais, où elle s’était précisément interrogée sur le traitement de l’espace avec ces cadrages mystérieux et souvent mutilants, vingt ans se sont écoulés, Czapski étant décédé en 1993. Il était donc grand temps de poursuivre l’analyse de l’œuvre magistrale de ce peintre étonnant, internationalement connu pour son courage politique qui a, en ces temps de désastre, quelque peu oblitéré l’œuvre picturale. Introduction et postface tentent ainsi d’ouvrir cette peinture à de nouveaux questionnements d’ordre plastique, mais aussi philosophique et psychanalytique. Le livre a tout de l’essai. L’écriture en est belle et consonne avec les planches en couleur et les dessins offerts au bonheur de l’œil. La lecture de l’art est entendue ici comme une éthique du regard contemplateur, toujours en mouvement.
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