En avril 2019, après avoir vu les tableaux de Józef Czapski, Murielle Gagnebin s’est adressée aux conservateurs du Musée National de Varsovie en disant: «Ce tableau est magnifique. Le meilleur que vous possédiez».
L’auteur de la première monographie du peintre polonais (Czapski: la main et l’espace, édition: L’AGE D’HOMME, 1974), professeur retraité de l’Université Sorbonne-Nouvelle, membre de la Société Psychanalytique de Paris et de l’Association Internationale des Critiques d’Art (AICA) parlait du tableau « Madeleine Renaud dans la pièce de Marguerite Duras Des Journées… », peint en 1967. Les costumes de ce spectacle présenté pour la première fois le 1er décembre 1965, dans lequel jouaient également Jean-Pierre Aumont, Françoise Dorner et Jean Martin, ont été réalisés par Yves Saint Laurent.
En parlant de sa pièce Des Journées entières dans les arbres, écrite sur la base d’une nouvelle de 1954, Marguerite Duras disait : «la pièce parle de l’amour de la mère pour son fils, d’un amour fou. Cet amour est si grand, si omnipotent que le fils ne peut s’en libérer jusqu’à la fin de sa vie ». La relation qui en résulte est meublée de suspensions, de silences que l’on ressent à travers un dialogue apparemment calme. Le silence omniprésent dans la pièce crée de nouvelles possibilités de lecture de la „sous-conversation”. Cette matière dramatique, dans laquelle la solitude dialogue avec elle-même, a été découverte par Jean-Louis Barrault et Madeleine Renaud, qui joue dans le spectacle le rôle de la mère. Barrault a même jugé que tous les mouvements scéniques sont soumis au silence. Dans le drame, il n’y a pas de règlement de comptes, de domination, de supériorité. Il n’y a que le désir de la mère d’être avec son fils. La mère, interprétée par Madeleine Renaud, veut simplement voir son fils avant de mourir. Mais elle ne se sent pas bien dans sa maison et constate que sa présence ne mène à rien, qu’elle n’est agréable à personne.
Dans le catalogue du Musée National de Varsovie le tableau porte un titre incorrect: « Madeleine Renaud dans la pièce de M. Duras Les journées (dimensions 115,5 x 89) ». Ce tableau est un don de Mateusz Bronisław Grabowski (1904-1976).
En 1975, après la fermeture de la « Grabowski Gallery » de Londres, ce pharmacien et grand amoureux de l’art a offert environ 400 œuvres de sa magnifique collection à deux institutions polonaises. Le Musée National de Varsovie reçut surtout les œuvres d’artistes polonais et le Musée d’Art de Łódź, 238 œuvres de 128 artistes d’Angleterre, des anciennes colonies britanniques et d’Europe.
Plusieurs esquisses du tableau « Madeleine Renaud dans la pièce de Marguerite Duras Des Journées… » figurent également dans le journal et les lettres de Czapski de cette époque. L’actrice apparait aussi dans les esquisses de la pièce « La Mère » de S.I. Witkiewicz (1970) au Théâtre Récamier (dans l’adaptation de M. Duras).
Pendant ce spectacle, Czapski a réalisé une bonne quinzaine d’esquisses. A l’occasion de la première de « La Mère », la télévision française a émis, le 15 novembre 1970, un film consacré à Ionesco et Witkiewicz, en confiant sa présentation à Jarosław Iwaszkiewicz.
Le film comportait également des fragments du drame réalisé au Théâtre Współczesny de Varsovie, quelques scènes de celui du Théâtre de Poche de Genève, ainsi que du spectacle de Claude Régy au Théâtre Récamier. 15 critiques ont paru dans la presse.
La première du drame a eu une influence décisive sur la réception mondiale de Witkiewicz et lui a ouvert le répertoire de nombreux théâtres professionnels. Bien entendu, Czapski a vu « La Mère » au théâtre Récamier.
– Czapski a peint le premier tableau avec Madeleine Renaud entre le 15 et le 21 novembre 1958, après sa visite au théâtre – explique Janusz Nowak, conservateur du Musée National de Cracovie, qui a travaillé pendant 25 ans aux Archives de Józef Czapski à Cracovie. Il s’agit de la vision caractéristique du clown, de la scène avec les mains levées. Dans son journal figurent au 21 octobre 1958 un dessin et également une aquarelle. Le tableau a été acheté par Anatol Mühlstein – diplomate polonais, conseiller et chargé d’affaires de la République de Pologne à Bruxelles, éditorialiste et homme d’affaires. Des années après, le tableau a fait son apparition lors d’une vente aux enchères. Il est donc possible qu’il ne soit plus en possession des héritiers du diplomate polonais.
Après avoir vu le drame, Józef Czapski a noté ses impressions dans son journal. Janusz Nowak cite le fragment relevé:
«Ensuite théâtre avec la grande actrice Madeleine Renaud pour la troisième ou quatrième fois dans la pièce de Duras « Toujours dans les arbres » [Des journées entières dans les arbres],une pièce d’une rare stridence de cruauté morale, de misère humaine, d’un mélange de tendresse, d’amour maternel marqué de préciosité bourgeoise poussée jusqu’aux dernières limites de la caricature, voire du pamphlet – et pourtant, grâce au jeu de Madeleine – il n’y avait pas une ombre de caricature – il n’y avait que l’horreur du mal, des ténèbres, de la souffrance sans issue. De nouveau, le projet d’un ou de deux grands tableaux. D’où prendre les forces et le temps? ».
Czapski a peint le tableau „Madeleine Renaud dans la pièce de Marguerite Duras Des Journées…” entre le 1 avril et le 5 septembre 1967.
Il y a travaillé du 1 au 6 avril. Cependant, le 7, il a noté dans son journal : «effacé», «mal».
Il a repris son travail du 29 juillet au 5 septembre 1967.
L’œuvre a été achetée par Mateusz Grabowski. Czapski a revu son tableau le 25 mai 1974 à Londres.
Czapski connaissait personnellement l’actrice et son mari Jean-Louis Barrault. Il les rencontrait dans les cafés parisiens. Il était invité à leurs spectacles, d’où sur ses tableaux on retrouve tant d’intérieurs et de scènes du Théâtre de l’Odéon.
Lors de la direction de Jean-Louis Barrault (1959-1968), le Théâtre de l’Odéon est devenu la scène la plus importante de France, peut-être même d’Europe.
– Ce lieu était identifié à son directeur. On parlait d’aller voir Renaud-Barrault ! C’est à dire de l’Odéon. Ces intérieurs de velours rouges présents sur les tableaux de Joseph, c’est aussi l’Odéon – confirme Katarzyna Skansberg, grâce à laquelle Czapski a assisté dans les années 80 à la répétition générale du Revizor de Gogol mis en scène par Antoine Vitez (visite qui est à l’origine du magnifique portrait du gouverneur).
Czapski était également invité aux premières du Théâtre National du Chaillot, où Katarzyna Skansberg travaillait aux côtés d’Antoine Vitez. Ils ont passé des heures entières à discuter du théâtre.
Le 12 avril 1973 Czapski a noté dans son journal qu’il était au café avec Murielle Gagnebin et Madeleine Renaud.
Il y a noté également que le 20 décembre 1975, il est allé voir la pièce une deuxième fois; le 5 janvier 1976 il note : « la grande toile avec Mme Renaud commencée » et à la mi-août, il note à Sailly que « la toile est terminée » – explique Janusz Nowak.
Sur la photo: peinture de Józef Czapski, „Madeleine Renaud w sztuce Marguerite Duras Des Journées…”, huile sur toile, 115,5 x 89; Musée National de Varsovie.
Auteur: Elżbieta Skoczek directeur du Festival Józef Czapski, président de la Fondation SUSEIA, se consacre à l’œuvre de Józef Czapski en étudiant les archives et les mémoires, en recueillant les informations sur les œuvres du peintre (projet: Catalogue raisonné des œuvres de Józef Czapski), et en enregistrant les conversations avec ceux qui l’ont connu. Travaillant à la diffusion de la connaissance du peintre polonais, elle a créé en 2017 le Festival Józef Czapski, qu’elle dirige depuis.